Quel sujet convient-il à un film ?
Tout ce qui, pour le spectateur qu’on envisage, est extraordinaire, important, n’est pas banal, convient pour être le sujet d’un film qui plaise à ce spectateur.
Le sensationnel consiste la plupart du temps dans l’irruption d’un monde étrange ou dans le heurt de deux mondes tout à fait différents. Cela peut aussi consister dans un revirement de l’angle sous lequel on envisage le quotidien connu.
Exemples d’irruption d’un monde étrange : les parents de la campagne viennent en visite en ville – un adversaire lance une attaque – un extra-terrestre visite le monde – un touriste s’égare dans un bidonville – un nouveau chef en prend le contrôle
heurt de deux mondes : un jardin d’enfants trouve à se caser dans un hôtel de passe – un cadre supérieur tombe amoureux d’une mendiante – un homme se déguise en femme (et vice-versa) – un vieux célibataire doit venir à bout d’un petit garçon
Revirement de l’angle sous lequel on envisage le quotidien connu: un pauvre bougre, après avoir été ignoré une fois de plus, est décidé à prendre lui-même sa vie en main. Il voit ce qui lui est arrivé jusqu’ici, avec des yeux neufs. Cela ne lui semble plus normal. – Quelqu’un quitte une carrière toute prometteuse, et se consacre à quelque chose toute à fait autre qui subitement lui semble plus normal que ce qu’il a accompli jusque là.
Un sujet dramatique n’attend pas d’être remarqué, mais attire plutôt les regards sur lui. Il captive le public par sa singularité comme s’il s’agissait d’une affiche : Veuve d’une réputation intacte devient danseuse orientale et séduit son gendre à venir !
Egalement, le public se sent attiré par des sujets qui excitent ou son intellect ou sa fierté ou son altruisme – par des sujets qui portent, autrement dit, ou sur la solution d’une énigme (intérêt intellectuel) ou sur la conquête d’une victoire (qu’elle soit combative, spirituelle ou romantique – intérêt fier) ou sur une cause qui vaut qu’on la soutient ou s’y sacrifice (intérêt moral).
Et c’est enfin par des contenus macabres, horribles et même sanguinaires ou par la représentation du mal qu’un sujet captive immanquablement l’attention d’un public.
Solution d’énigme : qui est l’inconnu qui vient toutes les nuits endormir le chien de garde ?
Conquête d’une victoire : chaque combat pour un bien, par exemple une possession, une bien-aimée, le jugement d’un juge. La plupart des histoires captivantes ont à faire avec la lutte contre un adversaire, un danger ou des conditions désavantageuses. Deux hommes se battent pour une femme, une mère lutte pour son enfant, le héros se bat contre les forces des ténèbres.
Le dévouement : un maître d’école lutte pour le progrès de ses élèves – un médecin se bat pour la santé de ses patients.
Contenus macabres/horribles : Même si le héros d’une histoire n’atteint pas son but, c’est à dire quand il succombe, ou même périt, la description de cet échec ou de cette ruine peut toujours tenir un public sous le charme. Comme à peu près la vie ratée d’une paysanne ou d’un oncle fou qui, après l’échec de ses projets, est à la charge de sa famille pour enfin être casé par la fiancée de son neveu dans une cabane aux abords du village. Plus dramatique encore (des Contes de Décameron de Bocaccio) : un père colérique tue l’amant de sa fille et lui envoie le cœur dans un bol d’or, elle verse à son tour de l’eau empoisonnée dessus, la boit et meurt.
Finalement, l’aptitude d’un sujet pour une histoire captivante ressortit du fait qu’il a une fin. A l’opposé d’évènements réels, des sujets qui conviennent à l’adaptation cinématographique, ont toujours une solution : un dénouement qui apporte une décision, une fin définitive. Dans la réalité, des problèmes restent souvent sans solution. Ce n’est pas la même chose dans une histoire ! Ici ils prennent toujours une fin – bonne ou mauvaise. Car la logique indispensable d’une action, l’auteur ne peut la concevoir qu’en considération d’un dénouement. Il ne peut la construire de façon qu’elle se dénoue totalement (comme un problème de mathématique) qu’avec une fin. Car dans une histoire dramatique, tous les éléments tiennent les uns aux autres comme dans une démonstration ; les faits ne coexistent pas sans rapport comme c’est souvent le cas dans la réalité. (Dans la réalité, deux familles peuvent vivre d’un bout à l’autre d’une ville ou d’une province et ne jamais se rencontrer dans la vie. Si dans une histoire, ces familles apparaissent dans le cours de l’action, tôt ou tard elles se rencontreront l’une avec l’autre, soit directement, soit par le biais de connaissances communes. Car dans une histoire, rien n’existe pour soi-même, mais toute chose dépend toujours l’une de l’autre).
Mais le plus décisif quant à la qualité idoine d’un sujet pour un récit dramatique, encore, c’est ce que le public visé trouve de sensationnel ou d’extraordinaire. Par exemple, des enfants bien protégés au sein d’un environnement sûr, rêvent parfois de s’évader, de vivre des aventures sauvages. Par contre des enfants d’un environnement peu confortable, défiant constamment la sécurité, rêvent d’une famille bien protégée. Des gens bien rassasiés trouvent aventures et privations spectaculaires. Pour les affamés, le repas et le luxe sont l’extraordinaire. Pour reconnaître l’extraordinaire, qui fait qu’un sujet soit approprié à un récit dramatique, il faut savoir ou rechercher ce qui est extraordinaire pour le public auquel on veut raconter son histoire.
Qu’y a-t-il comme schémas dramatiques ?
Les sujets qui se prêtent aux films, prennent la plupart du temps forme dans l’un ou dans plusieurs schémas de conte suivants :
CONTE D’AMOUR : Deux personnes sont destinées l’une à l’autre. Mais des obstacles extraordinaires les empêchent d’être ensemble. Cela va de soi, on sent qu’elles se voient ou qu’elles restent sans joie (malheureuses).
CONTE D’AVENTURE : Une tâche s’assigne au personnage principal et il la poursuit malgré de grandes difficultés. Il y arrive ou subit un échec.
CONTE D’ENQUETE : Le personnage principal s’attache à la découverte des circonstances, motifs et auteurs d’un fait mystérieux.
CONTE DE CHASSE : Quelqu’un est persécuté continuellement à cause de quelque chose qu’il a fait ou doit avoir fait.
CONTE DE RECONAISSANCE : Des situations et relations compliquées se révèlent à un personnage qui ne s’en doute pas. (Par exemple, une tante pressent et découvre finalement que sa famille la trompe. Ou bien, deux hommes se battent pour une femme ; il s’avère que l’un des deux est son frère.)
CONTE A FAIRE FREMIR : Espace, temps et personnages se métamorphosent en insolites qui font frémir d’horreur. Le déroulement de l’action consiste en une suite d’effets effrayants en vertu du sujet et du décor.
SCHEMAS DRAMATIQUES D’APRES ARISTOTE : Le philosophe grec Aristote distingue quatre schémas d’action : le simple, le compliqué, le palpitant et le moral.
Le schéma d’action simple : une action se déroule sans surprise de façon continue et homogène. Par exemple, une femme attend son amant qui revient après une longue absence, c’est l’hôte désiré, il s’approche et fait son entrée. Une telle attente et un tel accomplissement, ininterrompus par des incertitudes, caractérisent l’action simple.
Le schéma d’action compliqué : C’est mieux une action, aux dires d’Aristote, qui ne soit pas simple, mais construite de façon compliquée ou inattendue. Pour comprendre ce qu’il pense, il faut voir qu’un schéma d’action simple et un schéma d’action compliqué ont la même condition : tous les deux s’attendent à l’entrée progressive d’un événement désiré ou craint. Dans l’action simple, cette entrée s’accomplit comme prévu. Dans l’action compliquée, une fin, tout à fait à l’opposé de ce qu’on avait prévu, se produit. Par exemple, un homme veut chasser un mendiant qui assiège sa cabane. Dans le cadre d’un schéma d’action simple, l’homme emploie divers moyens pour effaroucher le mendiant ; finalement il le chasse. Dans le schéma compliqué, l’homme s’emploie à chasser le mendiant ; il s’avère que le mendiant soit le frère de l’homme en question, celui-ci le récupère dans sa cabane. Ou bien : c’est le mendiant qui chasse l’homme et s’installe dans sa cabane. Et même cette dernière variante, par son revirement inattendu, surprenant, présente l’issue typique de schéma d’action compliquée.
Le spectateur se laisse entraîner dans un développement dramatique du fait de l’impatience avec laquelle il attend l’issue. Dans le schéma simple, la fin de l’action se passe comme il l’a escomptée. Comme quoi les amoureux se retrouvent. Ou le héros prend le dessus sur l’ennemi. Ou bien l’énigme du début s’éclaircit.
Par contre dans le schéma compliqué, un fait autre que celui escompté intervient. Ce n’est pas ce que nous avons prévu initialement qui se réalise. Par exemple, le héros ne convainc pas, comme il se l’est proposé, son voisin du vol, mais son propre fils chéri gâté. – Ou bien il s’avère à la fin d’une histoire d’après le schéma de conte de chasse, que les poursuivants ne veulent pas du tout tuer notre héros, mais veulent tout simplement le sauver de son compagnon. C’est donc ce dernier qui se révèle être le vrai ennemi.
Le schéma compliqué crée toujours en premier lieu l’attente d’une issue autre que celle qui a finalement lieu. Si, par exemple, on voulait raconter dans le schéma d’action compliquée, de quelle manière deux amoureux se trouvent, il faut que cette possibilité paraisse exclue jusqu’à peu de temps avant la fin. – Ou bien on veut raconter comment un héros vainc son ennemi. Si l’on se sert dans ce cas du schéma d’action compliquée, il faut faire aussi longtemps que possible, comme si c’est l’ennemi qui prenait le dessus. Le héros gagne alors de façon inattendue lors du revirement typique vers le climax.
Ce revirement doit être, selon Aristote, d’un côté surprenant, de l’autre côté, il ne doit pas faire une impression accidentelle ou injustifiée : ses causes doivent être apparues pendant le déroulement antérieur de l’action, reconnaissables en rétrospective. Jusqu’à l’entrée de leur effet, le revirement surprenant, elles n’ont pas été remarquées. Par conséquent, le revirement vers l’issue du schéma d’action compliqué augmente selon Aristote toujours nos connaissances en déclenchant la compréhension des causes de l’entrée d’une issue survenue. Quand le compagnon dans l’exemple du conte de chasse un peu plus haut, se tourne à la fin de l’histoire par surprise contre le harcelé, parce qu’il est le vrai ennemi, il faut que les signes et les raisons de ce changement de comportement sont reconnaissable en considérant le déroulement de l’action survenue jusqu’à présent. – Quand l’enfant chéri se révèle être le voleur recherché dans l’autre exemple, il doit y avoir des indications dans le déroulement de l’action, lesquelles n’ont pas été vraiment discernées jusqu’ici.
Un exemple complet d’un schéma d’action compliqué (des Contes de Décameron) : Pour gagner l’amour d’une belle veuve, un adolescent ne ménage aucune dépense. Mais la veuve ne se soucie aucunement des honneurs qui lui sont rendus. Le jeune homme tombe dans la pauvreté. Seule une petite cabane lui reste à la campagne et un faucon, comme il n’y a pas de plus noble au monde. La veuve rend visite à quelqu’un à la campagne. Son jeune fils, qui aime les animaux, se familiarise avec le jeune homme. En voyant de plus en plus souvent le faucon voler, celui-ci donne l’envie au garçon de vouloir en faire la possession. N’ayant pas le courage d’en faire la demande, sachant à quel point le propriétaire y tient, le jeune garçon tombe malade. La mère, dont il est le fils unique, lui demande, s’il a une quelconque exigence. Elle le lui procurera illico, dans la mesure de ses possibilités ! Le garçon veut le faucon. La veuve sait que le propriétaire du faucon l’avait longtemps aimée, sans jamais obtenir d’elle le moindre regard. Elle hésite de lui exiger encore ce qu’il aime le plus, après qu’il s’était ruiné à cause d’elle. Cela malgré sa certitude qu’elle obtiendrait de lui le faucon. Elle fait dire au jeune homme, qu’elle compte le dédommager de tous désagréments qu’il a eus à cause d’elle, en allant manger chez lui à midi. L’homme, rempli de bonheur, lui offre un bon repas, dans la mesure du possible. Après le repas, elle lui demande le faucon au nom de son fils malade à mourir. Le jeune homme fond en larmes. Il ne peut malheureusement plus lui donner le faucon. Elle vient juste de le manger. Il n’avait plus rien d’autre à lui donner à manger. La veuve lui reproche d’avoir tué un si noble faucon. Mais intérieurement elle admire la grandeur de ses sentiments, qui n’avaient pu émousser, pas même son amère pauvreté. Le fils meurt, la veuve se marie avec le jeune homme.
L’histoire tient au fait que la veuve obtienne encore le faucon comme ultime possession de son admirateur, alors que cet admirateur reste sans aucun moyen. Revirement : elle n’obtient pas le faucon – en tout cas pas comme elle se l’était imaginé – et se marie avec le jeune homme. C’est le contraire de ce qu’on attendait au début. Ce développement est d’un côté tout à fait surprenant, mais de l’autre non sans fondement, au contraire, il est le résultat logique de son histoire préliminaire, quand on le revoit encore une fois (de plus près). De cette façon le schéma d’action compliquée, rend l’histoire qu’il représente encore plus profonde (plus pointue).
Le schéma d’action palpitant : Par action palpitant, Aristote veut qualifier ce qui a été traité plus haut comme l’attraction des sujets d’horreur. Selon Aristote, le palpitant obtient son effet, soit, par ce que se donne carrément en spectacle, soit, par ce que se montre à travers le montage ou l’assemblage particulier d’une action. On peut par exemple carrément montrer un baiser entre un homme et une femme – ou bien développer l’action de telle sorte que, quand les deux disparaissent derrière une chute d’eau, plus rien du tout ne soit possible, à part le fait qu’ils s’embrassent : nous imaginons le baiser, que nous ne voyons pas à cet instant. Il en est de même pour d’autres contenus sensationnels, par exemple des atrocités ou des mutilations. Aristote pense qu’ils ont un effet d’autant plus palpitant, que c’est l’imagination du spectateur qui en est animée grâce au montage de l’action. Par exemple, une main doit être coupée à la hache. On peut montrer cet événement de façon immédiate, ou bien on montre comment le concerné est conduit dans une pièce ; mais le spectateur, lui (la caméra dans le film) reste à l’extérieur. Un cri. Ensuite c’est un chien avec quelque chose dans sa gueule qui sort par la porte. C’est de cette manière que tout se passe dans l’imagination du spectateur. Aristote considère cela comme le moyen le plus efficace et le plus palpitant.
Le schéma d’action morale : Il ne s’agit pas ici de mettre le spectateur dans une tension soutenue / vive impatience, mais plutôt de l’émouvoir par ce qui cause des larmes : d’exciter sa sympathie par exemple en vertu de la présentation de circonstances de la vie ou des destins pitoyables.
Comment développe-t-on une action ?
Les schémas dramatiques (contes d’amour, d’aventure ou de chasse…) n’ont pas d’effet sur la perception comme des tableaux devant les yeux. Quand on regarde un tableau, on voit toutes les parties en même temps. Les parties d’un schéma dramatique ne se perçoivent pas simultanément, mais seulement successivement – comme la musique. Semblable à une mélodie l’action dramatique a besoin de temps pour se développer – progresser d’un début à une fin.
On peut également comparer les schémas dramatiques (contes d’amour, d’aventures, d’enquête, de chasse, simle ou compliques…) avec quelque chose se trouvant derrière un rideau. Le développement dramatique est alors l’ouverture de ce rideau. Petit à petit, l’histoire se dévoile, jusqu’à ce qu’elle se présente entièrement aux yeux de quelqu’un. C’est à partir de ce moment que prend fin son développement.
Autant des films ne peuvent être perçus d’un seul coup comme des tableaux, mais petit à petit comme de la musique, dans une durée définie, autant il y a un développement (un progrès d’un début à une fin) à la base d’un récit dramatique. Le scénario d’un film décrit ce développement par des mots tout comme une mélodie est transcrite en notes. Le réalisateur de film traduit les descriptions du scénario en une suite d’images comme le musicien traduit les notes en une suite de sons d’une mélodie.
Comme pour les mélodies, il y a aussi, pour le développement d’actions, différentes successions qui exercent des effets différents chez le percepteur. Par exemple une action peut se développer en « rattrapant » ou en « progressant ». Elle peut rendre quelqu’un curieux, elle peut informer ou surprendre. Les actions, comme les mélodies, peuvent travailler avec des allusions qui présagent une certaine issue et le retiennent même temps. Les passages suivants décrivent les moyens spéciaux à la disposition du scénariste pour organiser et optimiser le développement de l’action de son histoire.
Pour peu que le spectateur s’intéresse une fois pour toutes au sujet et à l’histoire, le moyen le plus efficace de l’attirer est l’engendrement de son « suspense ».
Comment ça fonctionne, « le suspense pour ce qui est dramatique » ?
Exemple 1 : Un homme traverse les rues pour ensuite pénétrer dans une maison, où il y a une chambre. Un autre homme pénètre dans la chambre. Il dit au premier qu’il obtient le travail.
Exemple 2 : Le même homme est intercepté par sa femme à la porte, avant qu’il s’en aille. Elle est allée lui chercher une chemise neuve. C’est important qu’il fasse aujourd’hui bonne impression, pour qu’il puisse obtenir le travail. Ils ont besoin d’argent. L’homme traverse les rues, habillé de la chemise neuve, pénètre dans une maison, dans cette maison, une chambre et ainsi de suite…
La suite de l’action 2 cause, en comparaison avec la première, de plus de suspense, parce que notre attention est orientée sur l’avenir. Dans l’action 1, on ne peut qu’observer ce qui se passe. Mais nous n’escomptons rien. Par exemple, on ne nous a pas montré, ce que l’homme avait l’intention de faire, et à quel point c’était important pour lui. À cause de cela, nous ne prenons guère part aux évènements.
Le suspense entraîne un spectateur dans une histoire du fait qu’elle lui laisse entrevoir quelque chose. Dans l’exemple 1, il n’y a rien qu’on pourrait entrevoir. Dans l’exemple 2 une scène est promise au public qui apporte la décision si l’homme obtient ou non le travail dont il a besoin tout de suite. C’est pourquoi le deuxième cause plus de suspense (est plus captivant) que le premier.
Un spectateur éprouve du suspense quand il s’attend à ce que quelque chose de bien défini arrive ou se décide. Cette émotion ne peut se faire que quand l’histoire la prépare. Dans notre exemple 2, c’est la scène avec la femme qui fait la préparation. Il y a diverses méthodes de préparation du suspense. Elles seront expliquées à la suite de cet exposé. (Et même cette dernière phrase cause un suspense, car elle promet quelque chose à venir.)
Aussi longtemps que la scène qu’on a promise au public se fait attendre, le public éprouve du suspense. Une telle émotion peut persister pendant tout un film. Le film a à peu près à faire avec le destin de l’amour entre un jeune homme et une fille. Les parents s’y opposent. L’intérêt de cette histoire est retenu, jusqu’à ce que la question soit décidée, si l’amour des deux jeunes gagne ou non. La scène dans laquelle cette question est décidée, est celle que le spectateur attend avec une vive impatience. L’auteur intelligent la place donc le plus possible à la fin de son action, pour que l’intérêt du public ne s’éteigne pas avant le temps.
Un autre film traite d’un combat entre un héros, par exemple le propriétaire d’un magasin, et un adversaire, par exemple le propriétaire d’un autre (plus grand) magasin. Ils se battent pour un quelconque précieux bien (un terrain, de l’argent, peut-être aussi une femme, la jolie vendeuse de fleurs d’en face, que chacun d’eux veut amadouer). Cette lutte attire le public, jusqu’à la solution du point litigieux : qui des deux va l’emporter. La scène, dans laquelle cette question de puissance se dénouera, est celle au niveau de laquelle le spectateur éprouve du suspense. De ce fait, l’auteur intelligent tend à la placer le plus possible à la fin de son action, afin d’éviter que le public rentre trop tôt chez lui.
Un autre film encore traite d’un innocent persécuté. Ce qu’on attend avec la plus vive impatience dans cette histoire, c’est la scène avec la décision de savoir si le héros échappe à la persécution. C’est mieux que cette scène vienne à la fin de l’action.
Un auteur, qui voudrait attacher son public à l’action qu’il raconte, ferait mieux de se servir du suspense. Pour ce faire, il faut qu’il promette à ses spectateurs une scène, qu’ils veulent maintenant voir absolument. Les spectateurs éprouvent donc du suspense parce qu’ils ont une idée de l’issue de l’histoire (par exemple, qu’elle décidera le vainqueur : ou le héros ou son adversaire).
Mais comment suscite-t-on de telles images dans l’esprit du spectateur ?
Déjà le titre d’une histoire peut y faire entrevoir quelque chose qui vaut la peine d’être vu. La beauté enterrée promet la découverte d’un mystère, qui a à faire avec l’amour. Le cadavre dans le puits ou Le cri de la fille du voisin fait naître l’image de quelque chose de plutôt effroyable, qu’on pourra voir. Oncle Félix traitera éventuellement de circonstances heureuses d’un parent impressionnant, d’une manière ou d’une autre.
Le chemin le plus souvent pris, pour diriger l’intérêt du spectateur vers l’avenir, consiste à ce qu’on fait un personnage de son histoire (la plupart du temps le héros) avoir un désir, se fixer un but. Le héros dit : « Je veux… » ou bien « Je dois… », et tout ce qui peut être à la place de « … », est alors l’objectif, par exemple, « Je veux me marier avec la vendeuse de fleurs », « … devenir un homme riche », « …demander des comptes à l’assassin de mon frère », « … échapper à mes poursuivants » etc.
Un but en même temps provoque l’intervention de l’antagoniste, indiquant de telle façon, à quelle scène de décision le spectateur peut s’attendre ; on montrera dans cette scène si le but sera atteint ou non. Et le spectateur attend avec vive impatience cette décision. (Aussi longtemps que l’objectif l’intéresse. Si un personnage se prend à peindre sa maison en bleu, c’est en effet un objectif. Reste à savoir, qui arrive à s’intéresser à une telle espérance : de voir enfin la maison en bleu).
L’objectif peut être très facile. Déjà l’attente d’un événement sûr suffit. Une personne attend son amant. Cette scène suscite du suspense parce que nous savons ce qu’escompte la personne. Si elle glanderait seulement, cela nous intéresserait à peine.
De l’autre côté, il y a des objectives à longue portée. Par exemple un jeune fermier veut préparer un meilleur avenir à ses enfants. Un tel désir guide alors le suspense principale jusqu’à la fin décisive de cette histoire, même si entre-temps apparaissent d’autres buts. Des buts intermédiaires pourraient par exemple consister à assurer une thérapie nécessaire à un enfant gravement malade, ou bien à récupérer à un voleur l’argent familial qu’il a escroqué. Des buts intermédiaires déterminent des suspenses intermédiaires.
Un objectif se réalise normalement comme décision ou désir claire. Une fille sourde-muette décide par exemple, de devenir une avocate. – Un neveu prend la décision de rechercher, pourquoi son oncle tue les animaux domestiques d’autrui.
En tout cas, même le but le plus visé est rendu incertain par le « pas encore » de l’avenir. D’un côté, il n’y a pas de suspense sans la représentation d’un certain avenir, de l’autre côté, le suspense vers cet avenir demeure seulement comme une semi-connaissance qui tourmente. Car on ne sait jamais précisément, comment cela va aboutir.
D’autres méthodes de susciter le suspense ont un effet plus indécis que l’objectif. L’environnement et l’extérieur d’une personne peuvent présager quelque chose (par exemple le climat étrangement malsain d’une région particulière ou bien l’aspect horrible d’une personne). Une action qui commence par la description d’une journée d’automne magnifique, un soleil radieux, clair, et une variété de couleurs, cela ne va pas présager une catastrophe, on peut s’attendre à ce que quelque chose de réjouissant survienne à la fin.
D’une manière plus indécise que l’objectif, mais toujours dans le même sens, il y a aussi l’effet des avertissements, des prédictions, des rêves ou des pressentiments du début qui ébauchent au spectateur ce au niveau de quoi il peut éprouver du suspense. Par exemple, une voyante prophétise à une jeune femme qu’elle se mariera avec « un jeune homme aux cheveux luisants ». Par cela une représentation est plantée dans l’esprit du spectateur, même encore incertaine, quant à la réalisation de laquelle on peut éprouver du suspense.
Les approches décrites jusqu’ici pour éveiller l’intérêt pour une action, consistaient à introduire dans l’esprit du spectateur la représentation d’un événement crucial à venir, quant à l’entrée de laquelle il éprouve du suspense. L’action se développe ensuite, pas à pas, vers l’évènement escompté. De ce fait on l’appelle « action progressante ».
D’une autre manière l’action « rattrapante » suscite l’intérêt des spectateurs. L’évènement crucial, vers lequel se développe l’action progressante, se trouve dans le cas de l’action rattrapante, au début. Le spectateur en fait tout d’abord connaissance. Sans savoir les étapes (causes) qui ont conduit à un tel résultat. C’est ainsi que ce dernier a un effet épatant, un effet de surprise. Ce que le spectateur attend en premier lieu par la suite, c’est l’explication des causes de cette surprise. Il escompte une scène qui donne cette explication.
Tandis que dans le cas d’une histoire progressante, les complications naissent et se résolvent à partir de faits présents, l’histoire rattrapante commence par le résultat final d’un déroulement passé qui sera maintenant relevé par une action à venir.
Le personnage principal d’une histoire découvre par exemple qu’on lui a volé quelque chose. Aucune suspense n’a précédé ce malheur, c’est-à-dire que le personnage n’escomptait pas être volé. Mais son suspense angoissé est déclenché par ce coup inattendu – presque comme un aveugle qu’on frappe. Il se pose par exemple la question : Qui a commis le vol ? Quand a-t-il été commis ? De quelle manière a-t-il été commis ? La victime lève et baisse les yeux. Peut-être qu’elle trouve les empreintes de pieds suspects devant sa porte, interroge les voisins s’ils ont vu quelqu’un, etc. La victime recherche les causes du fait, c’est-à-dire, ses antécédents.
En comparaison : dans une autre histoire, le plan conçu d’abord (c’est-à-dire le but du héros) amène au fait qu’il l’exécute petit à petit et enfin complètement. La femme sourde et muette décide par exemple de faire des études en droit, résiste à l’opposition de son père, parvient à s’inscrire, même âgée de 30 ans déjà, apprend assidûment, jusqu’à ce qu’elle soit après tout capable de passer l’examen final. Cette action n’est pas rattrapante (explicative), mais progressante, car l’événement décisif, à savoir le fait de passer l’examen final, attend à l’avenir. Pour en faire une histoire rattrapante, il faudrait monter tout autrement le développement. Par exemple, le père de la jeune femme se trouve en difficulté face à la Justice. Sa fille l’avertit d’un certain procédé et sauve ainsi ses intérêts. Sa connaissance sur l’exactitude du procédé n’est possible que quand elle a été en mesure d’interpréter la loi. Mais elle n’y connaît rien ! Ou si ? Une histoire rattrapante commence par une telle stupéfaction. Et cherche alors une explication, qui existe la plupart du temps dans le rattrapage ultérieur des conditions ou des précédents d’un évènement à surprise. Une telle cause qui surgit au cours de l’action, pourrait par exemple être le fait qu’elle ait secrètement entrepris des études de droit dans le cas de la fille déconcertante par ses capacités.
L’action progressante commence en règle générale par une intention qui tient résolument à son but et suscite notre suspense quant à son exécution et son succès. L’action rattrapante commence en règle générale par un fait accompli et suscite notre suspense en ce qui concerne l’explication de ses causes.
Dans le récit rattrapant le fait est déjà là et il s’agit avant tout d’explication et de découverte ses tentants et aboutissants. Par exemple on a un vieil homme connu comme le loup blanc. Tout le monde aime un peu raconter de ses visiteurs, ses actes, ses folies. Il cause des désagréments aux gens et en reçoit des coups pour cela. Quand on lui demande pourquoi il s’en accommode, il éclate de rire et dit : Je le fais, parce que j’aime bien mourir ! C’est ainsi que nous sommes de plus en plus impatient de savoir les causes du comportement du vieux. On les saura par la suite au cours d’une histoire rattrapante, lors de leur dévoilement.
L’action rattrapante commence par un fait accompli, qui atteint quelqu’un comme un coup qui atteint un aveugle. Et elle rend ainsi le spectateur impatient d’en avoir l’explication. Un fait accompli s’explique par ses causes, qui se trouvent dans le passé ou dans des faits précédents. On les découvre au cours d’une action rattrapante. Exemple d’un mariage. La mariée aperçoit quelqu’un au cours de la cérémonie et en est stupéfaite. Depuis, on n’entend plus rien de sa bouche. Qu’est ce qui lui a coupé le langage ? Ou bien qui ? L’histoire rattrapante se compose de la recherche et de la compréhension des causes du mutisme de la mariée. On attend impatiemment l’explication.
Un autre exemple : la mariée meurt juste après le mariage. Après c’est l’approfondissement progressif du cas qui ouvre de nouveaux abîmes. A-t-elle été enterrée vivante en fin de compte ? Est-ce son beau-frère qui l’a assassinée ? Ou bien était-ce le fils jaloux du maire ? Le déroulement de l’action dévoile des causes et des raisons d’une énigme présente, l’action est ainsi rattrapante.
Le récit rattrapant dévoile une histoire qui a causée le présent et donc l’explique ; le récit progressant aspire à un but qui dépasse le présent.
Les deux formes d’action (rattrapante et progressante) peuvent également être étroitement liées entre elles : par exemple les conditions d’acquisition d’un objectif peuvent être remplies seulement par la découverte des faits antécédents (qui sont à rattraper). A titre d’exemple, un jeune homme tombe amoureux de la sœur du prétendu assassin de son frère. En découvrant que le frère a été assassiné par quelqu’un d’autre dans des faits précédents, le jeune homme aplanit le chemin vers son avenir avec la fille qu’il aime.
La différence entre l’action rattrapante et l’action progressante se répète dans la différence entre surprise et suspense.
Le suspense se projette dans l’avenir, sur quelque chose qu’on escompte. Par contre, surprise veut dire quelque chose d’inattendu ou quelque chose qui arrive autrement par rapport à ce qu’on escompte. Par conséquent, elle semble totalement différente d’une attente « à le suspense » ou bien semble s’y opposer. De l’autre côté il n’y a pas d’évènement sans causes ; dans le cas de la surprise elles sont seulement cachées. Le fait à surprise se fonde sur un passé inconnu. Le passé doit être rattrapé, pour dénouer la surprise, et cela en dévoilant ses conditions.
Ainsi, la surprise crée en fin de compte une attente, tout comme le suspense. Éprouvant du suspense, on escompte l’entrée d’un évènement décisif. Dans la surprise on escompte l’entrée de l’explication d’un évènement déjà connu.
La surprise perd de son effet, quand elle se répète, quand on voit par exemple un film à surprise une seconde fois. La deuxième fois on se souvient de l’explication qui a été donnée la première fois à la fin de l’action. C’est pour cette raison, que la « surprise » du début expliquée par la suite de l’action n’a plus l’effet escompté. Par exemple : La plupart du temps, à la fin d’une action rattrapante, qui a commencé par un vol ou un meurtre, l’auteur est convaincu de son acte. Les circonstances et motifs de l’évènement d’abord énigmatique sont de cette façon éclaircies. Si on regarde la même histoire pour la deuxième fois, l’explication ne fait plus l’effet de l’attente angoissé parce qu’on le connaît déjà lors de la première fois.
De même, l’effet de l’action progressante (laquelle ne repose pas sur l’explication mais suscite du suspense quant aux évènements décisifs) change quand on le perçoit pour la deuxième fois. Mais le nouvel effet n’est pas, comme dans le cas de surprise, plus faible que le premier.
Quand nous regardons l’action progessante pour la deuxième fois, nous connaissons déjà son issue. Par ce fait, nous saisissons les moindres évènements jusqu’à la fin d’une autre manière, d’une manière plus profonde, plus vraie. Exemple : l’histoire de la sourde-muette, qui aimerait bien faire des études de droit. Deux issues sont possibles : elle le réussit ou elle ne le réussit pas.
Elle réussit : Si nous voyons cette version pour la deuxième fois, nous vivrons tous les épisodes avec l’impression qu’elle réussira. Il y a par exemple une scène où elle ne cède pas au mépris de son père. Quand on voit cette scène pour la première fois, elle renforce les doutes quant à l’obtention du but. Quand on la voit pour la deuxième fois, elle nourrit notre admiration de la force de volonté de l’héroïne. Notre expérience a changé, s’est approfondie.
Elle ne réussit pas : Si nous voyons cette version pour la deuxième fois, nous vivrons tous les épisodes avec l’impression qu’elle ne réussira pas. Il y a par exemple une scène, qui relate son succès au premier examen blanc. Si nous voyons cette même scène pour la première fois, elle renforce notre espoir quant au but. A la deuxième fois, elle suscite notre compassion envers l’héroïne encore confiante. Elle croit avoir fait un grand pas en avant, mais nous sommes au courant qu’elle va échouer. Et son échec sera renforcé par les espoirs, qu’elle se fait encore à ce moment précis. Dans ce cas, l’expérience du spectateur a aussi changé, s’est approfondie.
Lors d’une action essentiellement marquée par des surprises, le renforcement par répétition fonctionne moins bien, car leurs épisodes ne changent pas la signification, quand on la voit pour la deuxième fois. Les surprises fonctionnement mieux à la première fois. Qui veut concevoir une histoire, qui vraiment explose, enthousiasme les spectateurs, pour ensuite être oubliée, doit miser sur les surprises. De nombreux films de divertissement à succès se fondent sur des surprises, se voient une seule fois à travers le monde pour ensuite disparaître. Des films qui suscitent du suspense pour ce qui est d’un évènement décisif à venir ont par contre le potentiel de se faire voir plusieurs fois en approfondissant leur expérience.
Par rapport à cela, il y a même la possibilité d’« anticipation ». Il s’agit ici de débuter par la fin certaine d’une action progressante, tout de suite à la première narration. Une action commence par exemple de telle façon que nous voyons un homme, qui porte sur son dos une femme morte à travers le désert. Par la suite nous retournons dans le temps vers le début de l’histoire. La femme est encore en vie maintenant. Le jeune homme surgit. Il la demande en mariage. Par l’anticipation de la fin de cette relation, la scène dans le désert, le spectateur est donc tenu en attente angoissé sur le processus de développement vers une telle conséquence inévitable.
Autre exemple : Un homme est nommé à un poste important. Ensuite l’histoire revient en arrière dans le temps. Nous voyons maintenant l’homme plus jeune qui est en train de se faire embaucher comme gardien. Par l’anticipation de la fin de son développement, sa nomination au poste important, le spectateur est mis en attente angoissée sur la façon dont le héros est arrivé à de tels honneurs.
Avec l’anticipation naît dans le public, par la connaissance de la fin, la vive impatience d’apprendre la vérité entière, les étapes décisives vers une telle issue.
(La résonance du déjà-connu est aussi un instrument du journaliste habile. Il rédige son rapport de la façon suivante : la première phrase contient le « Qui, Où, Quoi » de la nouvelle, afin de captiver tout de suite le lecteur et gagner son intérêt pour la suite. Ce n’est qu’après une telle anticipation que vient toute l’information cohérente sur l’évènement.)
L’anticipation de la fin ressemble au fait accompli au début d’une histoire à surprise. La différence entre les deux se trouve dans le type de satisfaction prévu par le spectateur. Après la surprise, il est dans l’impatience d’obtenir une explication généralement compréhensible des causes cachées. Qu’est-ce qui, ou qui est-ce qui se cache derrière et surtout peut en être rendu responsable ? Lors de l’anticipation de la fin, le spectateur est par contre témoin de chaque détail du déroulement de l’action en guise d’expression d’un destin irréfutable. Son sentiment ressemble alors à celui d’une force supérieure et est par conséquent défini, moins par la curiosité que par la compassion.
En outre le spectateur sait, lors de l’anticipation de la fin, toujours plus que les personnages de l’histoire. Ce n’est qu’à la fin qu’ils le rejoignent, en arrivant là, où il les a déjà vus au début de l’histoire. C’est ce moment que le spectateur prévoit. Avec une vive impatience. Il n’escompte pas une explication mais l’intervention de quelque chose d’inévitable à comprendre pour les personnages.
Par l’anticipation de la fin, un auteur n’éveille cependant pas seulement la tendance du spectateur à la participation et à la compassion, mais aussi au pédantisme. Comme tout homme, le spectateur aime aussi savoir toujours plus que les autres, par exemple plus que les personnages de l’action, et à ce moment précis il voudrait absolument le leur signifier. Mais ils ne lui prêtent pas attention. Il doit attendre jusqu’ à ce qu’ils aient compris. Et c’est ainsi qu’il est assis comme sur des charbons ardents.
Par exemple le spectateur est témoin de la préparation, par l’adversaire et son compagnon, d’une attaque contre le héros. Ils se mettent aux aguets. Ensuite le héros qui ne se doute de rien monte sur scène. C’est à ce moment que le spectateur voudrait lui crier qu’il doit faire attention ! L’ennemi est aux aguets juste derrière lui ! Et si des fois des enfants se trouvent parmi les spectateurs, ils l’auraient fait. Mais le héros ne peut les entendre.
Un spectateur avisé à l’avance comme cela prend une grande part à l’action. « L’information connue à l’avance » du spectateur est par conséquent une puissante méthode, de l’attirer vers une action qui sinon, risque d’être ennuyeuse. Comme le titre, l’objectif, des avertissements, des rêves ou des pressentiments, l’information connue à l’avance produit également chez le spectateur la représentation d’une certaine scène à voir. Et il en attend impatiemment l’entrée : la scène dans laquelle le personnage concerné apprend ou comprend finalement ce que lui le spectateur sait ou sait mieux depuis longtemps.
Mais on peut également utiliser les différences d’« information connue à l’avance » des personnages d’une histoire entre eux, pour renforcer une action. Par exemple une fille est énormément amoureuse d’un garçon, et lui est très amoureux d’elle. Mais aucun des deux ne sait si l’autre l’aime. Le garçon demande au cousin de la fille de se renseigner pour lui. Mais le cousin est également amoureux de la fille. Lorsque la fille lui confie qu’elle aime le garçon, le cousin devient jaloux. Il dit à la fille que le garçon n’a rien pour elle. Il dit au garçon que la fille le trouve ridicule. Maintenant le garçon rencontre la fille dans la rue. Il se sent gêné car il pense qu’elle le trouve ridicule. Pour ne rien laisser voir il devient insolent et l’insulte. Cela confirme la crainte de la fille comme quoi il ne l’aime pas. Pour ne pas laisser voir à que point elle en est touchée, elle lui montre sa froideur. Le spectateur, qui en sait plus que les sympathiques personnages principaux, veut à tout prix voir une scène, où ils le rattrapent et surmontent leurs erreurs. C’est ce vers quoi il est mis en attente angoissée.
Autre exemple : l’ami de notre héros s’aperçoit du fait que l’ennemi pose un piège au héros. L’ami informe des aides. Ils se mettent d’accord pour qu’il se mette aux aguets et déclenche l’alarme dès que l’ennemi attaque. Les aides veulent surgir à ce signal et ainsi lui porter secours. Le degré d’information des personnages varie de l’un à l’autre. L’ami du héros et l’ennemi savent plus que le héros, qui ne prévoit pas du tout un quelconque coup. L’ami sait d’autre part plus que l’ennemi, qui ignore tout des aides aux aguets. Mais, c’est le spectateur qui sait le plus de choses car le héros se brouille avec les aides sans que l’ami le sache, et une assistance de leur part ne serait pour lui que quelque chose de méchant. – De telles différences de connaissance empilées font toujours que le cœur du spectateur éprouve du suspense angoissé.
Une possibilité extrême de l’information connue à l’avance réside encore dans le fait que le spectateur sait plus de choses sur une personne de l’action qu’elle-même. La personne dit par exemple qu’elle hait quelqu’un, mais le spectateur sent qu’il s’agit en fait d’un amour déçu – peut être après un malentendu – ce qui amène la personne à s’émouvoir de la sorte vis à vis de l’autre personnage. En réalité, elle est toujours amoureuse de l’autre et le spectateur désire ardemment que la personne arrive finalement à cette reconnaissance.
L’information connue à l’avance est enfin de compte aussi une des conditions principales pour des histoires comiques ou comédies. Une comédie a souvent une action dans laquelle une personne, parce qu’elle sait moins de choses, est considérée par le spectateur comme une « dingue » ou une folle. Pour le spectateur, un fou est par exemple quelqu’un qui, dans la vie, veut obtenir quelque chose que le spectateur considère comme un non-sens. Mais aussi quelqu’un qui tombe dans des situations dans lesquelles le spectateur ne penserait pas pouvoir tomber ; car lui, spectateur ne serait pas aussi bête – et il rit du fou qui tombe dans de telles difficultés.
Exemple : quand un époux arrive par surprise à la maison, sa femme cache son amant dans n’importe quel grand récipient. Le mari dit qu’il a vendu ce récipient, mais elle répond qu’elle avait déjà conclu le marché avec quelqu’un d’autre qui vient d’entrer en rampant afin de tester la solidité du récipient. Alors celui-ci sort, laisse le mari nettoyer le récipient et le porter à sa maison. – C’est l’époux qui est dans cette histoire la bête aux dépens duquel nous rions.
Le suspense a à faire comme nous l’avons vu, dans chacune de ses apparitions avec attente, c’est-à-dire avec un évènement à venir, à l’entrée duquel le spectateur s’intéresse passionnément. Dans une histoire captivante, chaque scène a mieux à faire avec l’avenir d’une manière ou d’une autre, soit il est espéré, soit il est craint. Est–ce que la femme sourde et muette réussira ou échouera dans ses études de droit ?
Ce que le spectateur ressent, quand il éprouve du suspense, se décompose en ces deux parties : le sentiment plus fort de l’attente et le sentiment plus faible du doute. L’attente est liée à la représentation d’un évènement à venir. Puisque chaque avenir imaginé n’est pas à même de se réaliser, il est toujours lié à la représentation de sa possible non-réalisation. Dans le suspense, l’imagination du spectateur saute entre deux représentations opposées de l’avenir, entre l’espoir et la crainte.
Plus fort le suspense saisit le spectateur, plus les causes de l’espoir et de la craint sont éloignées les unes des autres. Si en tant qu’auteur, on veut intensifier le suspense dans son histoire, il faut rendre ce que le spectateur doit craindre et ce qu’il doit espérer encore plus différent l’un par rapport à l’autre.
Gardant en mémoire ces exigences, on développe en fin de compte le déroulement de l’action selon les étapes « déclenchement du suspense », « entrée du doute », « complications » et « accomplissement ».
Déclenchement dans le suspense : L’évènement à venir est planté dans l’imagination du spectateur.
Entrée du doute : l’adversaire semble avoir été sous-estimé.
Complications : Toutes les conditions pour l’accomplissement espéré se réalisent les unes après les autres, interrompues par de nouveaux évènements qui créent le doute. L’adversaire dispose d’astuces inattendues.
Dènouement : Tout ce qui était nécessaire s’est réalisé, de telle sorte que selon les principes fondés sur l’expérience, ce qui faisait l’objet d’espoir doive arriver.
Questionnaire
Pour développer ou vérifier le scénario, on trouverait la réponse dans les questions suivantes :
Qui sont mes spectateurs ?
Qu’est ce qui serait extraordinaire pour eux ?
De quelle manière mon sujet contient cet extraordinaire ?
Comment se présente dans ce sujet l’irruption d’un monde étrange ?
Comment le quotidien est-il considéré sous un autre angle ?
De quelle manière mon sujet attirerait-il les regards sur lui, quand il est sur une affiche ?
Qu’en est-il de mon sujet pour la résolution d’une énigme ?
Qu’en est-il de mon sujet pour obtenir une victoire ?
Comment se bat-on contre un adversaire ?
Qu’en est-il de mon sujet pour s’engager pour quelque chose de plus grand que soi-même ?
Comment mon sujet excite-t-il par le monstrueux ?
Comment mon sujet se dénoue ?
Comment par ce dénouement tout est décidé et achevé ?
Mon histoire est-elle un conte d’amour ?
Mon histoire est-elle un conte d’aventure ?
Mon histoire est-elle un conte d’enquête ?
Mon histoire est-elle un conte de chasse ?
Mon histoire est-elle un conte de reconnaissance ?
Mon histoire est-elle un conte à faire frémir ?
Est-ce que j’utilise un schéma d’action simple ?
Est-ce que j’utilise un schéma d’action compliqué ?
Qu’est-ce que le spectateur attend d’abord ?
Qu’est-ce qui entre à la place de ce que le spectateur attend ?
Par quelles conditions est justifiée cette entrée (de l’événement opposé à celui que le spectateur attendait) ?
Quelle scène mon titre promet-il ?
Comment mon personnage principal vise-t-il un but ?
Comment son objectif est-il un objet physique ou un état de choses ?
Comment son objectif est-il une attitude psychique ou un point de vue ?
Quelle scène est promise de ce fait au spectateur ? La décision à propos de…
…. du rétablissement de la situation initiale ?
…. la transformation de la situation initiale ?
…. de la continuation de la situation initiale (par exemple de la croyance de quelqu’un d’autre à quelque chose) ?
Comment le personnage principal est-il peut-être déterminé par un désir inconscient ?
Y a-il des objectifs intermédiaires ?
Comment mon action est-elle progressante ?
Par quoi mon action suscite-elle notre suspense ?
Comment mon action suscite-t-elle notre suspense grâce à un environnement qui insinue quelque chose ?
Comment mon action suscite-t-elle notre suspense grâce à un aspect extérieur qui insinue quelque chose ?
Comment l’avenir surgit-il en prophétisassions ?
Comment l’avenir surgit-il en avertissement ?
Comment l’avenir surgit-il en pressentiment ?
Comment l’avenir surgit-il dans une analogie ?
Comment mon action est-elle rattrapante ?
Par quoi mon action est-elle surprenante ?
Pour quel mystère le spectateur attend-il une explication ?
Est-ce que mon action commence avec sa fin ? (Anticipe-t-elle son issue ?)
Comment le spectateur sait-il plus que le personnage principal ?
Comment un personnage de l’action sait-il plus qu’une autre ?
Comment l’attente du spectateur se répartit-elle en espoir et doute ?
Qu’espère-t-il ?
Que craint-il ?
Comment son imagination saute-t-elle entre crainte et espérance ?
Dans quelle mesure les contenus de la crainte et de l’espérance sont-ils éloignés les uns des autres ?
Comment pourrait-on agrandir l’espoir, de telle sorte qu’elle se distingue encore plus de la crainte ?
Comment pourrait-on agrandir la crainte, de telle sorte qu’elle se distingue encore plus de l’espoir ?
Comment l’évènement espéré à venir est planté dans l’imagination du spectateur ?
Comment montrer que l’adversaire a été sous-estimé ?
Comment se réalisent les conditions, l’une après l’autre pour l’accomplissement de l’évènement escompté ?
Comment sont-elles interrompues par de nouveaux évènements créant le doute ?
Quels astuces imprévus l’adversaire a-t-il en réserve ?
Comment la dernière condition est-t-elle réalisée, de façon à ce que l’évènement escompté doive intervenir d’après les principes fondés sur l’expérience ?
L’action essentielle
Après qu’on se soit suffisamment occupé du questionnaire, on peut se faire l’idée d’une histoire. Il s’agit maintenant d’élaborer en quelques phrases « l’action essentielle ». Pour élaborer l’action essentielle d’une idée, on la récapitule dans un précis qui utilise surtout des verbes de cause comme : causer, allumer, amener, apporter, attirer, avoir un effet, créer, déclencher, déterminer, donner, engendrer, entraîner, être à l’origine de, être la cause de, exciter, faire, faire naître, fomenter, former, inspirer, motiver, occasionner, procurer, produire, provoquer, se procurer, soulever, susciter, valoir …
LE PARRAIN La tentative d’assassinat contre son père incite le plus jeune de ses fils, qui avait renoncé aux affaires de mafia, à tuer les donneurs d’ordre. Ceci amène la nécessité de protéger ses prochains et l’entraîne à tuer tous ses rivaux et à monter à la tête de la mafia. Ce qui le force à tuer des adversaires au sein de la famille et rend irrévocable son destin d’être le nouveau parrain.
Son désir d’être plus qu’un petit voyou vaut à Rocky l’offre de boxer contre le champion et engendre sa détermination de se tenir jusqu’au bout de la quinzième reprise. Par conséquent, il s’entraîne pour le combat et tient jusqu’au bout de la quinzième reprise.
KUCH KUCH HOTA HAI Des lettres de sa mère morte à sa naissance incite une jeune fille à réunir son père avec son amour de jeunesse qu’il avait quitté pour sa mère. La fille fait apparaître son père lors de la colonie de vacances où son premier amour est éducatrice. Ce qui entraîne la résurgence de ce qu’ils ont éprouvé jadis l’un pour l’autre.
HUM AAPKE HAIN KOUN… ! Le mariage d’un frère aîné avec une sœur aînée fait naître l’amour du plus jeune frère envers la plus jeune sœur. La mort de la sœur aînée a l’effet de promesse au veuf endeuillé d’obtenir en remplacement sa belle – sœur. Ceci l’amène à découvrir l’amour entre les deux cadets, et il les laisse se marier.
GLADIATEUR : Le refus d’un général romain de faire honneur au nouvel empereur lui vaut la condamnation à mort. Alors, obligé de fuir, il se fait esclave, gladiateur vedette et retourne à Rome pour venger le meurtre de sa famille par le nouvel empereur, qui se sent motivé pour un duel contre lui et meurt dans l’arène. Par sa mort, l’empire est rendu au Sénat.
Séquencier et scènes d’exemple
On travaille enfin l’action essentielle pour devenir un séquencier. Le séquencier résume chaque scène d’une histoire en peu de mots. Avec le séquencier, on aura acquis les conditions d’un scénario. Afin de vérifier si l’histoire qu’on voudrait raconter fonctionne, le séquencier suffit. C’est plus simple de vérifier au moyen du séquencier si l’on a une histoire fonctionnelle, au lieu d’être en présence de tout un scénario, qui exige beaucoup plus de pages. Pour vérifier si l’histoire fonctionne, on se saisit du séquencier et on le raconte à quelqu’un d’autre. On remarque à la réaction de l’autre si l’histoire fonctionne. Si elle ne fonctionne pas comme séquencier, elle ne fonctionnera pas du tout comme scénario. Bien que le séquencier ne doive pas dépasser une page pour 40 minutes de film, donc bien moins long qu’un scénario, c’est pourtant très difficile de l’élaborer. C’est plus long de monter un séquencier fonctionnel que d’écrire le scénario correspondant. L’élaboration d’un séquencier fonctionnel prend presque 80% du temps qu’il faut pour composer l’histoire d’un scénario. Si on arrive une seule fois à faire un séquencier fonctionnel, il n’est donc pas plus difficile d’en écrire un scénario. Plus d’un réalisateur de film en arrive à ne plus écrire le scénario comme continuité dialoguée, mais prend le séquencier comme projet pour la réalisation de son histoire. On peut porter à l’écran une histoire sans scénario, mais pas sans séquencier.
On peut également utiliser les séquenciers d’autres films pour vérifier sa propre histoire. Dans ce cas on trouve des films tournés avec des histoires semblables à celle qu’on voudrait soi-même tourner. De préférence huit bons et deux mauvais exemples. C’est à partir de ces dix films qu’on extrait leurs séquenciers ; on les compare entre eux et avec sa propre idée de confection d’une histoire. Toujours d’après la maxime du dramaturge espagnol Lope de Vega : « Je lis et imite ce que je lis, et mets par écrit ce que j’imite ; et je corrige ce que j’ai écrit, et je fais le tri à partir de ce que j’ai corrigé. »
Voici le modèle du séquencier du film philippin Lucia de Lino Brocka, suivi de deux scènes de la continuité dialoguée à titre d’exemple :
- Des pêcheurs débarquent. Parmi eux, le mari de Lucia, son gendre et son fils aîné.
- Une bonne prise se vend bien au marché et rapporte de l’argent à la famille
- Au dîner, tout autour de leur cabane, nous faisons connaissance avec le reste de la famille de Lucia : le grand-père, la deuxième fille et son admirateur du village voisin, la fille aînée et ses jeunes fils, la belle-fille, le fils cadet (autour de 16ans) et la benjamine (15ans) qui s’ennuie de la vie villageoise et veut faire ses expériences en ville.
- Avant l’aube les hommes repartent avec leurs filets.
- Les bateaux pêcheurs lèvent le voile.
- Un hurlement réveille Lucia. Une odeur étrange.
- Tout le village à la mer. Du pétrole fuyant d’un pétrolier encrasse la plage. Des cadavres de poissons.
- La compagnie pétrolière envoie son représentant.
- Les villageois sont nourris d’espoir. Un petit garçon a mangé du poisson et a des crampes.
- Les villageois quittent leurs maisons pour la capitale. Il propose à Lucia de les rejoindre.
- La sœur de Lucia habite dans la capitale. La famille discute si elle doit partir et se résout à rester en mer avec le grand-père.
- A la prochaine aube, il n’y a plus de poissons. Les hommes veulent forcer les clôtures de l’établissement piscicole.
- Lucia retrouve son grand-père à la plage. Il se souvient des temps où il n’y avait pas de cartels, de filets à la trôle, de licences et la mer appartenait à tous.
- Les bateaux s’approchent des clôtures. La mitrailleuse fait feu.
- Les corps des morts au bord de la mer. Parmi eux, le mari de Lucia et son gendre. Sa femme, la fille aînée de Lucia, fait voir à ses jeunes fils leur défunt père. Ils n’oublieront jamais !
- Lucia décide que tous partent. La deuxième fille demande à sa mère la permission de se marier. Lucia consent.
- Les parents fermiers de l’amant de la deuxième fille ont du mal à avoir de l’argent pour un mariage.
- Malgré tout, c’est une cérémonie chaude et navrante.
- En quittant sa maison, Lucia est arrêtée par des villageoises à qui elle doit de l’argent. Lucia les paie moyennant des cagnottes et un buffle. Quant au reste, les femmes iront en ville.
- La circulation de la capitale, gaz d’échappement et taudis. Un jeune mendiant aborde la famille de Lucia et les insulte pour avoir donné trop peu.
- Dans un bidonville, la sœur de Lucia leur souhaite la bienvenue. Tout est à l’étroit et serré. Le frère cadet et la benjamine sont enthousiasmés par toutes les nouvelles choses à voir et à attendre.
- La fille aînée a trouvé du travail dans une usine textile et est rudoyée par la contremaîtresse.
- La benjamine va au cinéma avec le grand-père. Elle est fascinée par la vie nocturne au néon. Un entremetteur lui fait des compliments comme elle n’en a jamais entendu auparavant.
- Le fils aîné n’est pas content d’aller de nouveau à la pêche. N’y a-il pas d’autre travail ? Peut-être dans une usine ?
- Lucia calcule leurs revenus et dépenses. Ils ont même la possibilité de mettre quelque chose de côté maintenant.
- La benjamine et le grand-père assistent à des funérailles dans les environs.
- Derrière un rideau fin, le fils aîné satisfait ses désirs avec sa femme en état de grossesse très avancée. Lucia arbore le sourire quant à un tel développement de la vie.
- Dans un passage du bidonville on a tiré sur un jeune garçon.
- En vendant des casse-croûte sur une place, Lucia dit à son fils cadet d’aller à l’école, de devenir ingénieur.
- Lucia recommande à son fils cadet de devenir assez intelligent pour aller à une école supérieure principale. Le fils cadet n’a pas à payer des frais de scolarité ! Lucia l’équipe. La benjamine veut savoir comment elle se débrouille. Lucia la repousse.
- Témoin de ce qu’un contremaître de pêche a dû soudoyer une autorité officielle cotre la « fermeture » de leur travail sur les bords pollués des bidonvilles, le fils aîné s’en va.
- Sommant son fils cadet de quitter un jeu – télé pour son devoir à la maison, Lucia surprend sa fille de quinze ans en mini-jupe et enlève son make-up.
- Les villageoises à qui Lucia doit encore de l’argent manifestent pour réclamer le reste de leurs dettes. Elles ont une lettre de la seconde fille de Lucia.
- Le fils cadet lit à haute voix aux autres : Rebelles et gouvernement rendent cher la vie à la campagne. Les gens sont en danger.
- Le fils aîné travaille maintenant dans un restaurant derrière le bar. On lui rappelle de garder les restes pour les propriétaires de cochons au lieu de les manger lui-même. Un beau talonneur lui fait des yeux.
- Le bidonville cède la place à un supermarché. Des résistants font un meeting. Parmi eux la fille aînée de Lucia.
- La benjamine reçoit des photos pornographiques d’elle, prises par un touriste européen.
39. Lucia la traîne de là.
- Elle reproche à sa mère de tout accorder à son frère tandis qu’elle lui interdit même d’utiliser la moindre chose : son corps.
Lucia coupe avec elle, la met dehors.
- Lucia pleure devant la statue de la Vierge Marie.
- On voit des bulldozers venus pour aplatir le bidonville. En résistant, le grand-père se fait abattre.
- Lucia et les autres pleurent près de la tombe. La fille chassée regarde derrière la grille…
- … assiste à l’exode triste des habitants du bidonville.
- Lucia recherche maintenant les ordures de la ville jetées par les usagers. Batailles territoriales.
- Les enfants du nouveau bidonville tabassent le fils cadet « arriviste » de Lucia à son retour de l’école.
- Lucia panse ses plaies, aidée par sa belle fille enceinte qui ignore où son mari se trouve ces derniers jours.
- Il boit dans une ruelle de jeux. Le frère cadet bringeure cherche son support et conseil moral. Les frères plus âgés conseillent de ne pas devenir comme lui !
- Faute d’un meilleur exemple, le frère cadet tente de se faire admettre à un gang qui le tabasse et passe l’examen d’entrée à prendre de la drogue.
- La contremaîtresse admoneste la fille aînée de ses activités syndicales. Ils ont un œil sur elle.
- Lucia est en présence de sa fille aînée rentrant tard à la maison la nuit. Elle ne devrait pas s’amuser à lutter contre le gouvernement. Et cela tant qu’elles vivent sous le même toit.
- De la plate-forme d’un bus pick-up, Lucia voit sa benjamine costumée s’avançant vers une voiture d’étrangers. Leurs regards se croisent un moment, ensuite la fille monte à côté d’un homme qui pourrait être son grand-père.
- Lucia pleure, veut enlever sa fille de là. Le fils aîné dit qu’on devrait la comprendre.
- A l’usine textile, la fille aînée reçoit un message disant que sa cadette se cache en ville avec ses camarades.
- On manifeste. Le village a été détruit, tous les gens sont enlevés.
- Le fils cadet vend de la drogue avec les membres de son gang.
- Lucia le roue de coups, il lui fait du chantage avec l’argent qu’il se fait. « Ne pense jamais que tu peux me corrompre ! »
- Amenée par sa fille aînée, Lucia embrasse sa cadette qui doit déménager. Même si c’est difficile à comprendre, Lucia la rassure sur sa cause.
- La belle-fille donne naissance à un petit garçon.
- La brigade des stupéfiants abat le fils cadet de Lucia sur le dépôt d’ordures.
- Lucia berce le corps sans vie de son fils cadet.
- Funérailles du fils cadet. La fille âgée de quinze ans se présente, Lucia l’embrasse.
- Le cortège est parti. La famille réunie est assise sur le cercueil. Lucia de dire qu’on devrait s’asseoir ailleurs.
- La famille s’en va, emportant ses biens. Lucia emmène la statue de la Vierge.
Echantillons des scènes 61 et 62 en tant que continuité dialoguée
Noter les personnages, faisant leur première apparition sur une scène : noms écrits en capitale d’imprimerie. Le même procédé pour les SONS. Ce qu’on voit au premier coup d’œil : de combien d’acteurs on doit disposer pour une scène. Le respect des dimensions de l’échantillon pour la description et les dialogues amènerait au fait qu’une page formatée de cette façon représenterait une minute de film (c’est-à-dire 120 pages et donc 120 minutes).
- EXT. BIDONVILLE/DEPOT D’ORDURES DE VILLE – JOUR
ENFANTS et ADULTES remontent une ruelle salle. LUCIA suit la foule excitée. ELLE grimpe une montagne bigarrée d’immondices et fonce avec à l’arrière-plan le port de la ville.
RAPPROCHÉ
Le corps tordu de son FILS CADET gît là habillé d’un T-shirt et d’une culotte orange. Une FOULE CURIEUSE l’entoure.
Leurs têtes commencent à bouger au moment où Lucia se fraye un chemin. Elle voit son fils au milieu de détritus, du sang séché au coin de la bouche. Elle titube, ne sait où poser ses mains. Devant tout le monde, elle tombe sur ses genoux, tire le corps inanimé vers elle, serre son cou. Son visage se crispe mais aucun son sorte de sa bouche. Elle berce le corps comme si c’était son bébé.
LUCIA
Oh – oh – oh…
Son fils aÎnÉ se fraye un chemin dans la foule. Il se met à genoux et cherche à tâtons le frère défunt.
FILS AÎNÉ
(à la foule)
Qu’est ce qui s’est passé ? Qui lui a tiré dessus ?
DES FEMMES DE LA FOULE
C’était la police. Ils disent que ton frère était un coursier de drogue.
Avec le corps sans vie de son fils serré contre sa poitrine, Lucia HURLE sa peine. Le fils aîné caresse la tête de son petit frère défunt. Lucia presse son front contre le front de son fils mort.
- EXT. BIDONVILLE/COUR INTERIEURE – NUIT
Sous une bâche en plastique illuminée par des ampoules l’ASSISTANCE s’est rassemblée autour de tables en bois. A l’arrière-plan à côté la FILLE AÎNÉE avec son FILS un GROUPE DE GUITARISTES chante une
/CHANSON TRISTE/
rendant les adieux au défunt. DAVANTAGE D’INVITÉS arrivent. Des AIDES avec des plateaux se déplacent ça et là offrant à boire et à manger.
LUCIA est assise à la première rangée à côté de son FILS AÎNÉ qui tient son PETIT NEVEU sur ses genoux. Elle se lève et monte jusqu’à un coffre illuminé par des bougies, baissant le regard.
RAPPROCHÉ
A travers la vitre du dessus d’un cercueil on voit la partie supérieure du corps de son FILS CADET. Ses doigts se heurtent contre la vitre comme si elle voulait aller toucher son visage.
La fille aînée remarque quelqu’un passer derrière les guitaristes. Elle et son fils le suivent des yeux.
Balayant du regard les invités et serrant son sac contre elle LA FILLE CADETTE apparaît de derrière sa mère. Elle se tient immobile.
FILLE CADETTE
(étouffée)
Ma…
MUSIQUE CHAUDE – quand Lucia se tourne – étirant les bras en direction de la brebis galeuse. La fille commence à pleurer.
FILLE CADETTE
(venant vers Lucia)
Maman !
Lucia la prend dans ses bras.
LUCIA
Ton frère nous a quittés. Il est parti.
La cadette baisse le regard, MURMURANT le nom de son frère.
RAPPROCHÉ
Ses doigts peints en rouge sont posés sur le bord du cercueil à côté du visage pâli de son frère défunt.
Elle pleure sur l’épaule de sa mère. Dans un coin, les aides trient les assiettes et lavent les verres.